Mali: le coton africain, rongé sur tous les fronts
Il n’y a pas que les subventions des pays occidentaux ou la baisse des prix sur le marché mondial qui rongent le coton africain. Comme d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Mali assiste impuissant au démantèlement complet de sa filière coton. Une privatisation géante dictée par les bailleurs de fonds internationaux qui suscite beaucoup d’inquiétudes chez les producteurs. Les cultivateurs devront aussi apprendre à contrer une autre offensive: celle du coton transgénique. La promotion des OGM est discrètement menée sur place par la firme anglo-suisse Syngenta à grand renfort de lobbying, d’expérimentations sur le terrain et de colloques annuels. La prochaine rencontre internationale aura lieu le 1er décembre à Bamako.
Par Gilles Labarthe
Bamako, quartier sud. Assis devant un poste de télévision installé à même le trottoir, Oumar se gratte la tête: après la visite du président Jacques Chirac au Mali, les actualités nationales viennent d’annoncer une augmentation substantielle de la coopération française. “Je ne comprends pas! Notre pays produit plein de richesses, mais nous sommes toujours dépendants de l’aide étrangère. Cette année, la récolte de coton est pourtant exceptionnelle”, s’interroge le jeune banquier peul. Première source de devises aux côtés de l’or, le coton représente une fierté nationale. Et la récolte 2003 affiche d’ores et déjà une belle performance: plus de 600.000 tonnes de coton graine, contre 430.000 en 2002. Un record! Les chiffres ont de quoi réjouir. Beaucoup soulignent alors ce paradoxe: le Mali a décroché la place de “premier producteur d’or blanc” de toute l’Afrique subsaharienne, devant le Bénin, le Tchad ou le Burkina Faso, mais son avenir semble toujours plus compromis.
Désarroi impuissance
Pour expliquer ce manque à gagner, on évoque bien sûr les subventions à coups de milliards de dollars que les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, accordent à leur propre production, cassant le prix du coton sur le marché mondial. Depuis vingt ans, le prix du coton n’a cessé de dégringoler. Le cours était fixé à presque 3 dollars le kilo en 1980. Il est tombé à moins de 2 dollars en 1990, puis à 80 cents en 2001, alors que le gouvernement de Bamako, répondant aux impulsions de la Banque mondiale, misait tout le développement national du Mali dans ce même secteur. “Cette année, le kilo de coton sera acheté aux paysans maliens à 200 francs CFA. Ce qui est mieux que l’an dernier, et mieux aussi que le prix payé chez les voisins du Burkina Faso où le kilo s’achète à 185 francs CFA”, relativise le journal ivoirien Le Patriote.
Comment sortir de l’ornière? Diversifier les cultures, vendre les infrastructures du Mali, opter pour le coton transgénique? Les spécialistes internationaux avancent chacun leur solution, tandis que le désarroi et l’impuissance gagnent les producteurs maliens: ils comptent toujours sur le redressement économique de leur pays, depuis la mise en place d’un régime démocratique en 1992 et une ouverture à l’économie de marché sans précédent. Les dirigeants du pays ont bien décidé une vague de privatisations des entreprises publiques, pour les rendre “plus compétitives” et respecter les conditions d’ajustement structurel dictées par les bailleurs de fonds internationaux. Mais les beaux jours se font attendre, tandis que se succèdent les cortèges de licenciements.
Privatisation en cours
Exploitation des mines, énergie, transports, chemin de fer, télécommunications, tabac… autant de secteurs tombés dans les mains d’opérateurs étrangers, ou en voie de l’être. La privatisation de la filière coton, dans l’air depuis quelque temps, provoque bien des angoisses: elle pourrait mener à l’effilochage complet d’un organe vital pour toute l’économie malienne. “Si la CMDT fait l’objet d’une privatisation sauvage, c’est la mort de la filière cotonnière”, avertit depuis cet été Abdoulaye Abba Sylla, un des responsables syndicaux.
Pendant trente ans, la Compagnie malienne du développement des textiles (CMDT) exerçait en effet un quasi-monopole sur la production. Détenue à 60% par l’Etat malien et à 40% par le groupe français Dagris, elle assurait seule l’ensemble des opérations, de la production à la commercialisation, en passant par le transport et l’égrenage. Elle permettait de reverser une part considérable des bénéfices au gouvernement, assurant environ 15% du PIB et la bonne marche de l’économie nationale.
Une chaîne de travail complète, qui impliquait fortement les petits cultivateurs, reconnaît-on aujourd’hui. Au Conseil des ministres à Bamako, on craint actuellement la désintégration pure et simple d’une filière ayant fait ses preuves. Un fleuron national, qui faisait vivre directement 3,5millions d’individus, soit 32% de la population totale du pays.
Désintégration d’une filière
Malgré sa lourdeur administrative et ses défauts certains, la CMDT est aussi l’histoire d’une réussite d’intégration sociale: “Ce succès a été possible grâce à la filière intégrée qui permettait à la compagnie d’assurer l’ensemble des fonctions de production, de transport, d’égrenage et de commercialisation du coton, mais aussi des missions de service public telles que l’ouverture des pistes rurales, l’alphabétisation, l’hydraulique villageoise. Ce modèle intégré est désormais remis en cause”, se lamente un responsable à Bamako, soulignant que les services de développement rural de la CMDT ont déjà été supprimés.
Aux dernières nouvelles, la mission de restructuration du secteur coton (MRSC) prépare un nouveau dossier pour la privatisation de la CMDT. Ce plan de privatisation réclame un désengagement de l’Etat (qui ne détiendra plus que 20% de la nouvelle compagnie) et le morcellement du géant du textile malien en trois ou quatre sociétés autonomes, soumises à appel d’offres.
La perspective donne des sueurs froides aux professionnels africains du coton: la dernière proposition de mise en vente des usines nationales d’égrenage de Bamako, Kita et Ouélessebougou s’est soldée par un fiasco total. Le gouvernement misait en septembre 2002 sur une rentrée de 15 milliards de francs CFA. Mais les principaux acheteurs étrangers (le groupe suisse Paul Reinhart, associé avec IPS, la société française Louis Dreyfuss Cotton International et le géant américain du coton Dunavant SA) se sont entendus pour se désister les uns après les autres, faisant tomber la valeur à 6milliards. Un bradage du patrimoine malien effectué dans les règles de l’art.
La source: Le Courrier, Suisse, quotidien. Journal d’information et d’opinion, Le Courrier s’efforce de pratiquer un journalisme sans concession.