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domingo, mayo 5, 2024

Eacute;coutons la «nouvelle conscience islamique»

CulturaEacute;coutons la «nouvelle conscience islamique»

Écoutons la «nouvelle conscience islamique»

Sophie Boukhari

Ce manuscrit est la plus ancienne version écrite connue du Coran. Il est conservé en Ouzbékistan et classé «Mémoire du monde» par l’Unesco.

Pour le philosophe marocain Abdou Filali-Ansary*, les musulmans ont avant tout besoin d’espaces de débats ouverts. Ce défenseur d’une approche critique des sources de l’islam espère qu’ainsi, ils cesseront de confondre religion et politique.

-Depuis le XIXe siècle, de nombreux penseurs musulmans ont voulu «réformer» la pensée islamique. Or, ces tentatives n’ont guère abouti à la modernisation des régimes musulmans. Pourquoi?

-Quand il y a crise, on a tendance à revenir aux sources. Au xixe siècle, le mouvement éformiste a été très puissant parce que la modernité, avec la conquête coloniale, a fait brutalement irruption dans le dar el-islam (Domaine de l’islam). Par modernité, on entend le double changement du rapport de l’homme avec la nature et avec lui-même. Pour la première fois, l’homme réalise, grâce à la science, que beaucoup de choses, comme certains phénomènes climatiques ou la maladie, ne sont pas des fatalités. De même, l’ordre social ne paraît plus immuable. Les révolutions peuvent balayer les despotes et les peuples aspirent à améliorer leur condition matérielle. De l’Inde au Maghreb, une grande vague de penseurs s’est levée pour dire que l’islam des origines allait bien dans le sens de cette modernité si puissante. Mais l’Iranien Djamal ad-Din al-Afghani, l’Egyptien Mohammed Abduh et d’autres n’ont pas fait comme les réformistes chrétiens, qui ont balayé les précédentes interprétations, pour pouvoir porter un regard direct sur les Ecritures. Ces intellectuels ont considéré l’histoire des premiers musulmans comme une référence, au même titre que le Coran et la Sunna (voir glossaire). Leur retour aux sources était apologétique: il visait à redonner confiance aux musulmans, en leur disant que leur religion était favorable au progrès. L’événement fondamental dans l’histoire récente de la pensée musulmane s’est produit dans un deuxième temps. Dans les années 20, un grand schisme a divisé le mouvement réformiste: d’un côté, l’Egyptien Hassan el-Banna, célèbre pour avoir fondé les Frères musulmans et, de l’autre côté, un autre Egyptien, Ali Abderraziq, le précurseur du courant critique de l’islam. Pour avoir traduit son œuvre, je peux dire qu’il fut le premier à entreprendre un retour aux sources avec un regard critique. Il souligne que les principes cardinaux de l’islam, l’obéissance et la consultation, ne sont pas des règles d’organisation politique mais des valeurs morales: en contrepartie de l’obéissance qui lui est due, toute personne ayant des responsabilités (familiales, économiques, politiques, etc.) doit éviter de décider seule, en despote, et doit prendre en compte les avis de ceux qu’elle dirige. Abderraziq démontre que l’ordre politique islamique est une construction des musulmans, pas une obligation religieuse. Vous voyez la grande différence.

-Pourtant, le prophète Mohammed avait bien créé une cité islamique, qui alimente l’imaginaire des musulmans, et il était lui-même chef de guerre.

-La communauté de Médine fondée par le prophète n’était pas une entité politique. C’était une communauté religieuse. Mohammed est né dans une société sans Etat. Les tribus s’y faisaient une guerre incessante, sauf pendant quatre mois de trêve par an. Il a essayé de prêcher dans ce milieu pendant dix ans mais n’a réussi à rallier que des exclus: esclaves, femmes, membres de tribus minoritaires. D’où son départ pour Médine en 622 (hégire), où il a réussi à concilier deux tribus ennemies et à créer la première communauté musulmane. C’était une sorte d’anti-tribu, qui excluait le principe identitaire. On y entrait parce qu’on voulait devenir musulman, sur simple déclaration (profession de foi). Mais cette communauté a été attaquée par les autres tribus et le Prophète a dû se défendre, devenir chef de guerre. Lorsqu’il est mort, l’Arabie était acquise à la nouvelle religion et il avait préparé une expédition pour porter le nouveau le message vers la Syrie. Du fait de circonstances historiques, la communauté de Médine était devenue une entité religieuse prosélyte. Mais les directives laissées par Mohammed étaient claires: ne jamais convertir par la force.

-Pourtant, il y a une sourate très violente dans le Coran: «après que les mois sacrés se sont écoulés, tuez les polythéistes partout où vous les trouverez, capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades».

-C’est vrai, cette sourate est d’une violence extraordinaire. Elle a été révélée au Prophète dans un contexte de guerre, quand les polythéistes menaçaient la survie des musulmans. Je mettrais en regard de ce verset, un autre commandement du Prophète: attention, respectez les gens, pas d’arbre arraché, pas de maison brûlée, pas de femme violée… C’est cela qui a fait venir les populations à l’islam.

Après la mort du prophète en 632, la communauté des musulmans est bel et bien devenue un Etat. Les musulmans se sont tout de suite divisés sur cette question. Les défenseurs d’un empire (le califat), mené par un chef «élu» par une assemblée, l’ont emporté. Les partisans d’Ali, qui voulaient un Etat dirigé par la famille du Prophète, ont créé le chiisme. Mais on oublie toujours qu’il y avait un troisième courant: des musulmans de la première heure, comme Malik Ibn Nuwaira ou Abu Dharr, ont dit: «nous sommes une communauté religieuse, pourquoi créer un Etat?». Il ont été exécutés ou écartés. Au cours des siècles, de nombreux penseurs ont repris ces idées et subi le même sort. Leur histoire n’a jamais été écrite.

-Pourquoi?

-Aucun pouvoir ne l’a permis. Au xxe siècle, le courant critique a continué à être occulté. Mais il est resté vivant. Ali Abderraziq a eu de nombreux héritiers spirituels, comme le Soudanais Mohammed Mahmoud Taha, pendu par Nemeiri en 1985, dont l’œuvre se vend à des dizaines de milliers d’exemplaires. Aujourd’hui, il y a les Tunisiens Mohammed Talbi, Abdelmajid et Mohammed Charfi, le Pakistanais Fazlur Rahman, l’Iranien Abdul Karim Sorouch. Ils montrent tous que la tendance étatiste a triomphé pour des raisons historiques et qu’elle résulte d’une interprétation possible des textes parmi d’autres. Mais évidemment, ces gens-là ne tuent pas…

-Tout de même, sans parler d’histoire, il y a des obstacles de taille à la critique des textes, comme la nature «incréée» (essentiellement divine) du Coran.

-Ce dogme s’est imposé très tardivement, trois à quatre siècles après la mort du Prophète. Au départ, cette idée était minoritaire. Mais les théologiens qui l’ont défendue ont été tellement persécutés qu’ils ont obtenu l’appui des masses et ont fini par l’imposer. Je voudrais souligner quelque chose de bien plus important encore: le fameux concept de charia, conçue comme loi totale régissant la vie des croyants, s’est cristallisé près de deux siècles après la mort du Prophète. Il faut le dire et le répéter car c’est une rupture extrêmement importante. C’est Mohammed Ibn Idriss Chafi’i, un jeune intellectuel brillant né 150 ans après la mort du Prophète, qui a consacré la charia. Les sources de l’islam n’indiquent que des houdoud (limites, frontières) imposées par Dieu, un peu comme des commandements: ne tuez pas, n’enlevez pas les femmes, etc. Les jurisconsultes musulmans s’en inspiraient, chacun à sa manière, pour soumettre les lois et les coutumes à des critères éthiques. Mais Chafi’i est allé beaucoup plus loin. Il a extrapolé à partir des houdoud coraniques et en a tiré des lois pour toutes les activités humaines.

-A chaque étape de l’histoire, c’est le courant le plus dur qui l’a emporté. Pourquoi?

-Parce que, très tôt, le politique s’est saisi de la chose religieuse. Ensuite, les débats religieux ont toujours été dominés par des considérations politiques et «instrumentalisés» à des fins partisanes.

-Parlons de cet islamisme moderne, né au début du xxe siècle, à l’opposé de ce que vous appelez le courant critique. Comment expliquez-vous qu’il ait marqué autant de points?

-L’intégrisme a été poussé par deux grandes forces, qui nous broient comme des mâchoires d’acier. Il a bénéficié de l’appui des régimes locaux et du nouvel ordre mondial, dominé par l’«Occident». Partout, il a été manipulé pour lutter contre la gauche et les mouvements de libération. Comme l’a montré Mohammed Charfi dans Islam et Liberté, les régimes arabes et musulmans ne se sont pas contentés de financer certains mouvements. Ils ont mis en place des politiques éducatives destinées à enseigner la vision intégriste de l’islam. Résultat, on a planté, dans les esprits, le décor d’une confrontation durable. Les nouvelles générations sont coupées de la pensée universelle. La philosophie n’est plus enseignée dans les pays musulmans, ou alors à dose homéopathique. L’autre grand vent qui a poussé l’intégrisme vient des relations internationales et des rapports économiques Nord-Sud. Comme les pays avancés soutiennent les régimes despotiques, il ne reste que la mosquée pour contester l’ordre économique, local et mondial. Ajoutez ce qui est ressenti comme une série d’agressions extérieures: le soutien massif à Israël, les bombes sur l’Irak, Srebrenica et maintenant l’Afghanistan. Les médias, eux aussi, portent une lourde responsabilité. Ils ne parlent de l’islam que lorsqu’il y a des attentats et font mine d’ignorer que l’intégrisme est minoritaire. Avec tout cela, nous sommes en train de camper le décor d’une nouvelle guerre de cent ans, de créer une polarisation extrême entre islam et Occident.

-Vous rejoignez la thèse d’Huntington…

-Non. Huntington a donné une réalité ontologique à ce choc, presque biologique, comme si nous étions fondamentalement différents, comme si la culture était une espèce de seconde nature. En réalité, ce choc est une construction historique, le produit de conditions particulières et de choix politiques.

-Pour vous, l’islam n’est donc pas hostile à la démocratie et aux droits de l’homme.

-La démocratie et les droits de l’homme sont des conquêtes récentes de l’humanité. Ces valeurs que les intégristes et Huntington prétendent occidentales sont universelles. La démocratie, c’est comme le feu ou les chiffres arabes. C’est un patrimoine de l’humanité. L’islam n’est ni pour ni contre. Un musulman ne peut être contre que s’il adhère aux constructions historiques du Coran incréé et de la charia, ces chimères produites tardivement pour dire que la religion doit tout régir. Bien sûr, les Occidentaux ont été les premiers à accéder à la démocratie. Mais cela s’est produit du fait de conjonctures particulières et, eux aussi, sont passés par de violents débats pour éliminer une partie de leur héritage religieux. Dans les pays musulmans, le courant critique pourrait avoir ses chances si les conditions minimales de liberté étaient réunies. Regardez l’histoire récente de l’Iran. Dans les années 50, ce pays était à peu près au même niveau de développement que la Grèce. Si la CIA n’avait pas renversé Mossadegh en faveur du chah, il aurait probablement utilisé ses richesses pétrolières pour évoluer vers la démocratie. Mais le chah a réprimé toute contestation et accepté la domination américaine. Une fois de plus, les musulmans ont été renvoyés à leur identité «primordiale», à l’islam. Même les Iraniens de gauche ont fini par se rallier à Khomeyni pour faire face au despotisme. Vingt ans après, en 1997, les électeurs iraniens ont donné plus des deux tiers de leurs voix à Mohammed Khatami, un adepte de ce courant critique que j’appelle la «nouvelle conscience islamique». Source: Sophie Boukhari et journaliste au Courrier de l’UNESCO (http://www.unesco.org). Abdou Filali-Ansary, directeur de Prologues, revue maghrébine du livre. Auteur de L’islam et les fondements du pouvoir; traduction et introduction à la pensée de Ali Abderraziq, La Découverte, Paris, 1997; L’islam est-il hostile à la laïcité?, Le Fennec, Casablanca, 1998. A paraître: Par souci de clarté; à propos des sociétés musulmanes contemporaines, Le Fennec

Glossaire

Charia: loi religieuse embrassant tous les aspects de la vie individuelle et collective des musulmans.

Chiisme: de l’arabe «parti». Courant minoritaire composé des partisans d’Ali, cousin et gendre du Prophète, qui estiment que la succession de Mohammed aurait dû revenir aux membres de sa famille (Ali et ses descendants). Ce courant se divise lui-même en nombreuses «sectes»: duodécimains, ismaéliens, druzes, zaïdites, alaouites, etc.

Coran: de l’arabe «lecture», «récitation». Pour les musulmans, ce livre sacré a été révélé par Dieu au prophète Mohammed par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, à partir de 609. Il se compose de 114 sourates divisées en versets.

Kharidjisme: de l’arabe «sortir». Secte rigoriste qui entra en dissidence en 657 et qui s’est perpétuée dans le cadre de la secte ibadite, représentée à Mascate (Oman), Zanzibar (Tanzanie), Djerba (Tunisie) et dans le Mzab algérien.

Sunnisme: islam majoritaire qui se dit «orthodoxe». Il met l’accent sur la fidélité à la tradition, la sunna, qui est l’ensemble des enseignements, paroles et gestes du Prophète. Divisé en quatre écoles juridico-théologiques, plus ou moins rigoristes: hanafite (qui domine en Syrie, Turquie, Asie centrale, Inde, Chine), malékite (Maghreb, Afrique noire, Europe de l’Ouest), chaféite (Egypte, Irak, sud de la péninsule arabique, Afrique orientale, Indonésie, Malaisie…), hanbalite (Arabie saoudite).

Wahhabisme: Mouvement religieux fondé par Ibn Abd al-Wahhab au XVIIIe siècle et inspiré du hanbalisme, rite le plus rigoriste de l’islam sunnite. En fondant son royaume en 1932, avec l’appui des Britanniques, Ibn Séoud en a fait sa doctrine officielle.

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