Akhenaton, annonciateur du grand retour?
Le retour du bas du sarcophage d’Akhenaton en Egypte après plus de 80 ans d’exil relance l’espoir d’une restitution de plusieurs autres pièces. Mais il s’agit toujours d’un processus long et complexe.
Par Hala Fares et Ahmed Loutfi
Une vraie fête et un retour très médiatisé, celui du bas du sarcophage d’Akhenaton qui se trouvait au Musée d’art égyptien à Munich depuis 1981 et qui passait pour disparu depuis 1931. Suite à un accord entre les autorités égyptiennes et celles du land de Bavière, cette restitution a pu avoir lieu.
De nombreuses hautes personnalités ont pris part aux tractations, même le président Moubarak a été étroitement tenu au courant de l’évolution de cette affaire, lorsque le chef du gouvernement régional bavarois Edmond Stoiber lui a adressé une lettre le 12 décembre 2000 où il s’est déclaré disposé à restituer le sarcophage sans obtenir en contrepartie de compensation en nature ou en espèces. Par la suite, Stoiber a confirmé le retour de cette partie du sarcophage lors d’une visite en Egypte en 2001, où il a été reçu par le premier ministre Atef Ebeid. C’est la première fois qu’une pièce de cette importance est restituée à l’Egypte par des procédés diplomatiques, après une longue absence de plus de 80 ans.
L’événement a été fêté comme il se doit. Tout d’abord, une exposition d’adieu, en quelque sorte, pour l’Allemagne. Ainsi, le couvercle se trouvant au Musée du Caire a été déplacé à Munich pour présenter le sarcophage pour la première fois dans son intégralité. Cinq autres pièces se trouvant dans la tombe d’où provient le sarcophage, le KV55, ont été exposées. Il s’agit des vases canopiques (contenant les viscères du défunt), de statues d’Akhenaton d’un demi-mètre de hauteur, et une stèle de la tombe du roi Ay, un des pharaons qui ont succédé à Akhenaton, outre une stèle marquée d’un texte magique. L’exposition a eu lieu du 17 octobre 2001 au 22 janvier 2002. Le lendemain, le bas du sarcophage a été transféré dans un centre médical, où il a subi un examen radiographique de 45 minutes permettant de capter 2.000 photos, de quoi fixer l’identité de cette pièce avant son départ définitif vers sa terre d’origine.
Des souhaits, rien que des souhaits
La fête au Musée du Caire était haute en couleurs. Le ministre de la Culture, Farouk Hosni, était présent. Il jubilait, non seulement pour cette pièce, mais aussi pour de nombreux autres chefs-d’œuvre qu’il voudrait voir revenir au pays. Pour lui, comme pour d’autres responsables, le sarcophage pave la voie à d’autres restitutions, plus spectaculaires encore. La pierre de Rosette, exposée au British Museum de Londres, est en tête de ces pièces que l’on voudrait voir revenir au bercail. Hosni a lancé un appel solennel: “Je souhaite que tous les pays agissent à l’exemple de l’Allemagne et restituent les pièces égyptiennes dérobées et sorties en contrebande”. Le ministre a mis l’accent sur le caractère légal des revendications égyptiennes: “Le congrès international de l’Unesco de 1972 a confirmé le droit de l’Egypte à récupérer toutes les pièces sorties de l’Egypte d’une façon illégale”.
La charte a d’ailleurs permis le retour de nombreuses pièces, notamment celles qu’Israël avait enlevées du Sinaï lors de son occupation de la péninsule en juin 1967. Des pièces sont rentrées de France, de Suisse et d’Angleterre, mais aussi de Jordanie. C’est ce document de l’Unesco qui est l’un des principaux arguments égyptiens dans le procès de Frederik Schultz, le collectionneur américain.
Au-delà de cette euphorie, le retour des pièces semble problématique. Le ministre lui-même l’a reconnu au cours de la même cérémonie qui a regroupé l’ambassadeur d’Allemagne au Caire, les hauts responsables du HCA (Haut Conseil des Antiquités), des directeurs des missions étrangères et les membres de l’Institut d’archéologie allemand au Caire. Il a ainsi fait état du refus du Musée de Berlin de restituer le buste de Néfertiti, qui n’a cependant pas été volé à l’Egypte, mais emporté lors de fouilles légales. Les responsables, a-t-il dit, ont argué qu’il s’agissait de la seule pièce importante du Musée égyptien de Berlin. La retirer, c’est le déparer complètement. En fait, des milliers de pièces pharaoniques se trouvent dans les musées étrangers. Le British Museum compte à lui seul 25.000 pièces. Farouk Hosni s’est consolé en estimant que ces “pièces sont une excellente propagande pour l’Egypte”. Il s’agit d’accepter un fait accompli puisqu’il n’est pas réaliste de croire que l’on pourra reprendre des milliers d’objets qui ont fait la célébrité des collections égyptiennes des prestigieux musées occidentaux.
Une loi aux multiples lacunes
Au départ, certaines lacunes dans la loi égyptienne ont favorisé la sortie des pièces. De plus, certains pays, comme la Grande-Bretagne, n’ont pas signé la charte de l’Unesco. Selon Hicham Saraya, conseiller juridique du HCA, “le problème le plus important qui entrave le retour des pièces est de pouvoir déterminer la date de sortie des pièces et le moyen utilisé. Il faut que les pièces aient été volées ou sorties de manière illégale avant la date de la signature de la charte”, explique-t-il. Malheureusement, le HCA ne possède aucune information précise sur le nombre de pièces se trouvant importées et sur la date de leur sortie. Une autre raison: beaucoup de ces pièces sont sorties de façon légale. La loi 117 de 1983 fait de toutes les pièces archéologiques une propriété de l’Etat. Mais avant cette date, le commerce des antiquités était toléré. De plus, les missions étrangères qui fouillaient en Egypte avaient droit d’obtenir 50 % des résultats des fouilles, pourcentage limité à 10 % pour les pièces en plusieurs exemplaires, par la suite, avant d’être annulé.
D’autres pièces sont sorties sous forme de cadeaux offerts par les dirigeants égyptiens à leurs homologues étrangers: de Mohamad Ali à Sadate. Mohamad Ali a offert l’obélisque de Cléopâtre, qui se trouve place Banx, à Londres, et celui de la place de la Concorde à Paris, qui se trouvait à Louqsor. Nasser a donné en récompense 5 temples de Nubie aux pays qui ont contribué au sauvetage des monuments submergés par les eaux du Haut-Barrage. Il s’agit du temple de Dendur se trouvant au Metropolitan Museum, celui de Dabud à Madrid, celui de Tafa au musée de Leyde aux Pays-Bas, celui d’Elissia à Turin, et une partie du temple de Kalabcha, qui se trouve au Musée égyptien de Berlin.
Le retour est donc problématique. Cependant, le procès de Schultz devrait faire jurisprudence. Pour le moment, on se félicite d’une accélération de certaines restitutions. Car, au cours des deux dernières années, l’Egypte à quand même réussi à récupérer un bon nombre de pièces sorties de façon illégale. Parmi elles, une stèle de la XIXe dynastie, une statue de Néfertari, la tête de la déesse Sekhmet et des papyrus. La liste s’allongera-t-elle? Trop d’obstacles jalonnent la route du retour des antiquités pour donner une réponse affirmative définitive.
Le procès de Manhattan
En obtenant gain de cause pour la poursuite du procès d’un potentat américain du trafic des antiquités, le HCA a réalisé une percée importante pour la récupération des pièces volées.
Une tête d’Aménophis III, pharaon mort en 1375 av. J.-C., est au centre d’un procès qui se déroule à New York avec comme principal accusé Frederik Schultz, grand trafiquant américain qui a même été un conseiller de l’ex-président Bill Clinton pour les affaires d’antiquités. Un homme puissant qui a fait dire à Gaballah Ali Gaballah, secrétaire général du Haut Conseil des Antiquités (HCA) que “le procès en soi n’est pas aussi important que la personne même de Schultz”. Schultz est dangereux par sa propre personne et par ses contacts. Il est le propriétaire de la plus grande galerie qui vend des objets pharaoniques à New York, c’est le président de l’Association du commerce des antiquités à New York. Le fait qu’il comparaisse devant la justice est considéré comme un triomphe en soi pour l’Egypte. Il est jugé par la cour de Manhattan avec comme principal chef d’accusation “la conspiration pour recevoir et posséder des pièces volées, notamment la tête d’Aménophis III”.
S’il est jugé coupable, il risque cinq ans de prison. Cela marquera une étape importante dans la lutte contre le trafic de biens culturels. D’ailleurs, s’il a été dénoncé, c’est grâce à un autre procès retentissant, celui de Jonathan Tokeley-Parry qui a eu lieu à Londres. Ce collectionneur s’était emparé d’objets antiques se trouvant dans un dépôt à Saqqara et a pu les faire sortir d’Egypte en les maquillant de sorte qu’ils paraissaient être de simples objets de pacotille. Mais une fois le pot aux roses révélé, le gouvernement égyptien l’a poursuivi en justice. En 1997, il a été condamné à 3 ans de prison par un tribunal britannique et à 15 ans de prison par contumace en Egypte. C’est au cours de ce procès que les liens entre Tokeley-Parry et Schultz ont été révélés. L’image de Schultz émergea, comme homme de toutes les grandes combines en matière de trafic d’antiquités.
Accuser Schultz n’a pas été chose aisée. “Les Etats-Unis ne reconnaissaient pas la loi égyptienne ou ne lui accordaient pas beaucoup de crédibilité”, explique Hicham Saraya, conseiller juridique du Haut conseil des antiquités. Gaballah et Saraya s’étaient rendus aux Etats-Unis en novembre 2001 pour cette affaire. Il s’agissait de dissiper l’impression que “la loi égyptienne est floue et peu respectée”. La défense de Schultz avait même fait comparaître à la barre des témoins égyptiens qui avaient confirmé cette idée selon laquelle la loi est peu respectée en Egypte. Gaballah est resté 2 heures pour convaincre le juge et répondre à ses questions. “Il a pu démontrer que la loi était appliquée de manière rigoureuse et a donné des exemples précis concernant la répression du trafic d’antiquités”, commente Hicham Saraya. Une experte américaine s’est rendue par la suite en Egypte pour vérifier ces informations. Et en janvier, la cour de Manhattan a jugé recevable la plainte égyptienne.
L’éventuelle condamnation de Schultz ouvrira la voie à la récupération d’autres pièces. Il a entreposé à l’aéroport de Zurich des caisses entières pleines d’objets qui n’ont pas été identifiés et qui seraient des antiquités dérobées. “Bien sûr que nous allons récupérer nos objets. C’est pour cela que nous nous battons. Nous n’allons jamais baisser les bras”, s’enflamme Saraya. Cette tête d’Aménophis III, Schultz l’aurait achetée à Tokeley-Parry en 1992 pur 915.000 dollars. Il l’a revendue 1,2 million à un collectionneur anglais. Ironie du sort, le trafiquant britannique l’a achetée à 7.000 dollars en Egypte estimant qu’il avait fait une bonne affaire puisque pour lui elle valait 50.000 dollars. D’ailleurs, à l’ouverture du procès, Tokeley-Parry n’a pas manqué d’accuser Schultz et de dévoiler ses méfaits, y compris le financement de fouilles illicites par des ouvriers égyptiens. L’audience des témoins va se poursuivre pendant deux semaines encore. “Nous avons des arguments très solides nous permettant de récupérer la pièce”, lance Gaballah, très confiant.
La source: Al Ahram Hebdo, Egypte, hebdomadaire. Une publication du groupe Al Ahram destinée aux francophones. (www.ahram.org.eg/hebdo)